Soigner autrement
Présentation de François Bertucci, Professeur de cancérologie, AMU, IPC.
Soigner autrement est devenu un impératif de santé publique en raison du vieillissement de la population, de l’augmentation des maladies chroniques, de la désertification médicale, de l’hyperspécialisation de la médecine et de l’exigence accrue des patients. C’est également un impératif économique en raison de la difficulté à financer des dépenses de santé sans cesse croissantes. Les soins en cancérologie sont l’objet depuis quelques années d’une transformation radicale avec le développement de la prise en charge ambulatoire et une diminution de la durée des séjours hospitaliers avec des traitements moins lourds et plus précis. Le « cancer hors les murs » est une réalité déjà présente qui va se développer dans les années futures grâce aux progrès du numérique. Ce développement tient aussi à des raisons épidémiologiques et économiques, et aux progrès médicaux et scientifiques, et aura des répercussions humaines, économiques et organisationnelles.
Juin 2016
Les raisons
Raisons épidémiologiques
Par sa fréquence (350 000 nouveaux cas en 2012) et sa gravité, le cancer reste un enjeu majeur de santé publique en France où il représente la première cause de mortalité (150 000 décès en 2012). Les trois « Plans cancer » successifs ont permis des avancées encourageantes : l’évolution des taux standardisés (pour 100 000 personnes-années) entre 1980 et 2012 montre que les taux d’incidence ont débuté leur décroissance chez l’homme et se sont stabilisés chez la femme depuis 2005 et que les taux de mortalité accélèrent leur décroissance depuis 2005 chez les hommes et chez les femmes.
Mais le poids du cancer reste lourd, aggravé par l’augmentation démographique et le vieillissement de la population. L’incidence brute augmente et on estime que 385 000 personnes auront un cancer en 2016.
Grâce aux progrès thérapeutiques, les patients vivent plus longtemps, plus âgés, et la maladie se chronicise dans les formes métastatiques. La survie s’améliore, augmentant le nombre de patients « guéris » à surveiller. Les patients sont mieux informés et deviennent de plus en plus acteurs de la décision thérapeutique et de la réalisation du traitement avec les formes orales.
En cancérologie, la file active de patients augmente ainsi que le niveau requis de connaissances scientifiques avec des traitements rapidement évolutifs et de plus en plus complexes.
Raisons économiques
Le coût du cancer est en augmentation régulière. Sur les 7,25 milliards d’euros dépensés en 2012, la part des séjours hospitaliers et séances en établissements de santé était largement majoritaire, représentant 64,5 %. Les séjours hospitaliers coûtent également en termes d’absentéisme professionnel et de baisse de productivité. Réorganiser les soins avec plus d’ambulatoire, des durées d’hospitalisation plus courtes, mais également plus de prévention est un enjeu crucial.
Evolutions attendues
Progrès médicaux et scientifiques et évolutions attendues dans les centres de lutte contre le cancer
L’étude EVOLPEC « Quelle prise en charge des cancers en 2020 au sein des Centres de lutte contre le cancer ? » réalisée par UNICANCER a permis d’identifier six évolutions structurantes dans la prise en charge des patients, qui pour la plupart vont dans le sens du « cancer hors les murs ».
1-La Chirurgie ambulatoire
La première concerne la hausse de la chirurgie ambulatoire qui permet au patient de sortir le jour de son hospitalisation. Elle est très encouragée par les pouvoirs publics en raison de bénéfices pour les patients, les établissements de santé et l’Assurance maladie. Elle nécessite l’accord du patient et des conditions favorables, notamment une organisation logistique de surveillance post-opératoire à domicile. Pour le cancer du sein, l’objectif est de passer de 17 % à 50 % des interventions en 2020.
2-La radiothérapie hypofractionnée
La deuxième évolution est la radiothérapie hypofractionnée, qui grâce à la délivrance de doses plus importantes permises par une précision accrue du champ d’irradiation, induit une diminution du nombre de séances. Pour le cancer du sein, l’objectif est de passer de 30 à 20 séances en 2020, avec déjà dans certaines conditions la possibilité d’une radiothérapie per-opératoire permettant chirurgie et radiothérapie en un seul jour.
3-La « chimiothérapie » à domicile
La troisième évolution est la « chimiothérapie » à domicile rendue possible par le développement croissant des chimiothérapies et thérapies ciblées par voie orale et la chimiothérapie intra-veineuse (IV) en HAD. Les thérapies modernes ciblent une altération moléculaire relativement spécifique de la cellule cancéreuse. Elles prennent une part majeure dans les traitements généraux des cancers, représentant 50 % des AMM délivrées en cancérologie depuis 2004, un taux qui devrait s’accroître puisque 75 % des essais cliniques réalisés entre 2007 et 2011 dans le cancer du sein concernaient une thérapie ciblée. Elles sont dans 50 % des cas prises par voie orale, à domicile, ou par voie IV en ambulatoire, et de façon le plus souvent continue et « à vie », posant des problèmes d’observance, mais également de surveillance accrue en raison de toxicités plus complexes que la chimiothérapie cytostatique classique. Concernant le cancer du sein, nous nous orientons pour 2020 vers une diminution de la chimiothérapie adjuvante au stade précoce grâce à de nouveaux marqueurs pronostiques moléculaires, et vers une augmentation du nombre de « lignes » thérapeutiques disponibles au stade avancé avec 50 % de traitements par voie orale, ce qui impose la mise en place de programmes d’éducation thérapeutique pluridisciplinaire ville-hôpital.
4-La caractérisation moléculaire
La quatrième évolution est la généralisation de la caractérisation moléculaire des tumeurs grâce aux techniques de génomique, avec des applications à tous les niveaux cliniques (dépistage, diagnostic, pronostic…). Citons par exemple les nouvelles techniques de séquençage à haut débit qui permettent d’orienter l’utilisation des thérapies ciblées ou l’analyse de l’ADN tumoral circulant par simple prise de sang réalisable à domicile et de façon itérative au cours du temps pour une adaptation thérapeutique régulière.
5-La radiologie interventionnelle
La cinquième évolution est le développement de la radiologie interventionnelle, qui permet au radiologue, sous contrôle de l’imagerie, des actes diagnostiques et thérapeutiques moins invasifs que la chirurgie et dans des conditions ambulatoires pour 30 % des cas.
6-Les soins de support
La sixième évolution est le développement des soins de support, définis comme l’ensemble des soins et soutiens nécessaires au patient et à l’entourage conjointement aux traitements oncologiques. Les premiers départements de soins de support ont été mis en place dans les Centres de lutte contre le cancer. Ils doivent permettre un accompagnement personnalisé et global du patient. Ainsi, la prise en charge des patients va évoluer vers une diminution du nombre et/ou de la durée des séjours hospitaliers avec une succession d’interventions pluridisciplinaires très spécialisées à des temps pré-définis (consultations, actes diagnostiques et thérapeutiques ambulatoires) et plus de soins à domicile. Ce qui nécessitera un accompagnement nouveau et une surveillance adaptée « à distance, hors des murs » assurant la continuité des soins et du suivi en toute sécurité et équité, et de manière prolongée. Dans ce cadre, le rôle du Centre de lutte contre le cancer sera plus focalisé sur la coordination du parcours de soins. [/fusion_tab][fusion_tab title= »Une réalité déjà présente » icon= »fa-road »]
« Le cancer hors les murs… » : une réalité déjà présente et qui marche
Plusieurs actions mises en place ces dernières années permettent déjà avec succès de diminuer les séjours hospitaliers. Citons par exemple les consultations avancées que l’IPC avait installées il y a plusieurs années dans les hôpitaux éloignés de la région et qui ont été remplacées grâce aux progrès technologiques par des réunions de concertation pluridisciplinaire en vidéoconférence. L’échange de supports papier entre acteurs de soins, comme des fiches d’information sur la toxicité des protocoles de chimiothérapie distribués aux médecins traitants, permet de diminuer les hospitalisations secondaires pour toxicité dans les inter-cures. L’équipe du Pr Guy Laurent à Toulouse a montré l’intérêt d’une assistance téléphonique des patients atteints de lymphome par une infirmière hospitalière sous la supervision de l’oncologue durant la chimiothérapie et pour la surveillance dans l’année post-chimiothérapie.
Une réalité qui va s’accentuer grâce au numérique et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC)
Cette transformation des soins hospitaliers, comme celle d’autres secteurs économiques, est impulsée par le numérique. La e-santé est définie comme « l’application des technologies de l’information et de la communication à l’ensemble des activités en rapport avec la santé et la fourniture des soins à distance ». La technologie principale est internet qui permet la connexion entre intervenants grâce aux appareils connectés (mobiles, smartphones, tablettes…) et objets connectés via les serveurs qui stockent les données dans le nuage ou « cloud ». Il existe différentes composantes de la e-santé : la télémédecine, le « e-learning » et les « serious games », le « quantified self » ou auto-mesure de soi, le « Big Data » et la m-santé (mobiles : smartphones, tablettes…). Les enjeux pour les consommateurs sont multiples. Pour les patients, citons autonomie, qualité de vie, accès immédiat et large à l’information, partage du vécu avec d’autres patients à travers les forums, voire « patients experts » qui participent à l’élaboration de contenus éducatifs. Pour les professionnels de santé, citons une meilleure utilisation du temps médical, aide à la décision médicale, et facilitation d’échanges entre professionnels hôpital ville mais aussi directement avec les patients. Pour les établissements de santé, citons une meilleure efficience des ressources (aide à la prescription, partage dossier patient…).
Conclusion
Cette (r)évolution qui va permettre au patient de sortir de plus en plus du cadre de l’hôpital est en cours et s’accélère grâce aux nouveaux outils de communication. Elle va obliger à modifier les rôles des professionnels de la santé et avant tout à informer mais aussi éduquer les patients. Acteurs hospitaliers et extra-hospitaliers devront plus que jamais apprendre à travailler en réseaux coordonnés. Dans ce contexte, les Centres de lutte contre le cancer auront un rôle capital à jouer. Une évaluation scientifique devra également être mise en place pour évaluer le vécu et l’intérêt de cette approche au niveau des patients bien entendu, mais aussi des professionnels de la santé et de la collectivité nationale [/fusion_tab][fusion_tab title= »Exemples d’applications » icon= »fa-pencil-square-o »]
Le dossier médical
Le dossier médical électronique, qui a été mis en place à l’IPC depuis plusieurs années pour remplacer le dossier papier, est un exemple déjà ancien et réussi dans le domaine.
Le mobile
Il existe d’autres exemples plus récents dans la littérature. Pour la prévention et le diagnostic précoce du cancer du col de l’utérus, un programme basé sur les mobiles a été mis en place en Tanzanie. Des infirmières équipées de téléphones mobiles et présentes dans les régions les plus éloignées du pays prennent des photos des cols, puis les envoient par MMS à des médecins dans un centre spécialisé. Ceux-ci répondent à l’infirmière sur place par message sur la conduite à tenir . Le procédé permet d’améliorer la prévention de ce type de cancer et d’éviter aux populations éloignées de parcourir de longues distances pour être examinées.
L’accompagnement via internet
Pour le suivi en cours de traitement, une équipe norvégienne a montré dans un essai randomisé incluant des patientes en cours de traitement pour un cancer du sein récemment diagnostiqué, la supériorité d’un accompagnement basé sur internet à un suivi classique en termes de symptômes physiques, anxiété, et dépression. Pour le suivi de la maladie, plusieurs études ont démontré que les médecins traitants se sentaient peu à l’aise, et que les patients faisaient en général plus confiance à leur oncologue. Pourtant cette consultation de suivi est contraignante pour le patient (transport, attente, arrêt de travail), coûteuse en temps pour le médecin et en argent pour les collectivités. Bien organisée, elle pourrait être réalisée via une connexion internet (skype). On peut d’ores et déjà imaginer que des patients atteints d’une GIST (tumeur stromale gastro-intestinale) et traités par thérapie ciblée (glivec) ne mettent jamais un pied à l’hôpital, au moins durant le traitement en cours.